Workplace 2026 : regards croisés sur la mixité d’usages comme nouveau cadre de pensée ?
Le 3 décembre dernier, Jaicost a eu le plaisir d’organiser sa toute première conférence, en partenariat avec l’IDET, au sein des magnifiques locaux de Wojo Saint-Lazare qui nous ouvrait ses portes pour l’occasion. Philippe Dufour et Camille Paillot de Montabert, associés Jaicost et animateurs d’un jour ont ainsi eu l’opportunité, à travers cette table ronde dédiée à la mixité d’usages, de donner la parole à des experts de l’environnement de travail et acteurs clés du Workplace 2026 :
- Cédric Omnes, Directeur Immobilier Exploitation, Groupama
- Vincent Callais, Projet The Link, TotalEnergies
- Stéphane Bensimon, CEO, Wojo
- Martin Sauer, Co-fondateur, Slean et Podcast host L’Afterwork(place)
Une matinée d’échange au cours de laquelle regards croisés, pratiques, convictions et dernières tendances sur les évolutions du monde du travail se sont confrontés aux réalités du terrain autour d’une question devenue centrale : la mixité d’usages peut-elle – et doit-elle - transformer durablement l’immobilier tertiaire et la performance des organisations ?
Dans un contexte immobilier incertain, marqué par une fréquentation en baisse des espaces de travail, une vacance en hausse, des attentes toujours plus fortes du marché, et des actifs soumis à une équation complexe, la question n’a, semble-t-il, jamais été aussi stratégique. Pour preuve, quelques-uns des chiffres présentés en ouverture :
- 35 % d’occupation moyenne,
- 60 % de surfaces sous-utilisées,
- Un coût élevé de 11 000 € par poste inutilisé chaque année,
- Ou encore une réduction des surfaces prévue par 50% des entreprises.
Alors, face à ces chiffres, la mixité d’usages est-elle le nouveau cadre de pensée ? Nous vous dévoilons les partages et enseignements tirés de cette matinée aussi riche que précieuse en apprentissages et en perspectives, à quelques semaines d’un changement d’année… et de paradigme.
Un contexte immobilier sous tension qui appelle au changement
Cela ne devrait pas vous avoir échappé, notamment si vous suivez nos publications régulières, l’immobilier tertiaire et l’environnement de travail dans son ensemble traversent une recomposition et même une transformation profonde. Dans cette mutation sectorielle héritée d’une crise sanitaire encore dans les esprits, le développement croissant et accéléré du flex office, le retour – parfois un peu contraint – des collaborateurs au bureau, les questionnements persistants sur le télétravail et la pertinence de ses modalités d’application, ainsi que l’hybridation durable des modes de travail ont profondément rebattu les cartes. Désormais – et plus que jamais – les directions immobilières font face à un véritable paradoxe : des postes qui se vident, des coûts qui demeurent élevés et une maîtrise budgétaire qui s’avère complexe. C’est dans ce contexte que quatre décideurs sur dix se disent prêts à envisager de nouveaux usages au sein de leurs actifs tertiaires, mais aussi que 93 % d’entre eux estiment que l’immobilier doit désormais avoir un impact positif sur ses occupants et sur le quartier au sein duquel il est implanté.
Au-delà des chiffres, une question s’est imposée comme fil rouge de la matinée :
« Pour quelles raisons avons-nous des bureaux aujourd’hui, et à quoi doivent-ils servir ? »
Repenser les espaces : de la logique de poste de travail à celle de produit évolutif
Pour Martin Sauer (Slean), l’un des décalages les plus marquants tient actuellement à une évidence longtemps – et encore souvent – ignorée, qui est celle que « l’immobilier est, par définition, immobile, et que l‘on met à l’intérieur des organisations qui sont totalement vivantes, qui évoluent ».
Son constat est régulier, et aussi clair que sans appel :
- Des aménagements surdimensionnés, figés, ou pensés sous l’angle du design plutôt que de l’usage,
- Des salles de réunion jamais pleinement utilisées,
- Un flex office mal accompagné,
- Des postes, certes, attribués, mais pour autant désertés…
Martin l’affirme : les symptômes sont récurrents et les modèles historiques, eux, montrent leurs limites.
Face à cela, il plaide pour une approche semblable au « test and learn » inspirée du digital, celle d’observer, de tester, de corriger et d’ajuster. Pour Martin, la conception d’espaces immobiliers professionnels doit suivre celle de produits évolutifs pensés pour absorber les transformations au lieu de les freiner. Une culture de l’itération qui ouvre indéniablement la voie à des environnements plus résilients autant que réversibles.
L’usage comme moteur de valeur
Avec une vacance des bureaux en hausse et une demande de flexibilité accrue, comment : Construire un schéma immobilier pérenne ? Valoriser ses actifs ? Attirer et retenir ses talents ? Favoriser la performance individuelle et collective ?
Autant de questions que nous avons posées à nos différents intervenants et auxquelles Stéphane Bensimon (Wojo) a apporté des réponses, résumant en une phrase le basculement culturel en cours : « Ce qui crée la valeur, ce n’est pas le mètre carré, c’est l’expérience. »
Selon lui, l’attractivité des lieux de travail repose moins sur l’architecture que sur :
- L’animation du quotidien,
- La qualité de l’accueil,
- La chaleur humaine,
- Et la diversité des services proposés.
Ainsi, l’enjeu n’est, selon Stéphane, plus seulement de répondre à des usages, mais de créer les conditions pour qu’ils se déploient pleinement. La mixité devient alors un outil d’activation autant qu’un levier d’optimisation.
Pour illustrer son propos, notre intervenant ne nous a pas seulement fait traverser les frontières, il nous a carrément transportés sur un autre continent, en Afrique plus précisément, pour nous raconter la transformation qu’il opère actuellement avec l’un de ses partenaires : celle du développement de bureaux dans des hôtels. « Pas des espaces de quartiers, mais des nouveaux bureaux, loués à l’année, directement dans les hôtels ». Dans ce continent en pleine croissance économique, Stéphane l’affirme : « l’hôtel est un lieu de rencontre et de business, davantage qu’en Europe. Ce modèle de mixité hôtel / bureaux fonctionne parce que les usages ne se superposent pas aux mêmes heures et que ce type de mixité répond à la fois à des enjeux financiers et carbone ».
Stéphane poursuit son analyse : « C’est le mouvement de mixité des usages avec hôtels, restaurants, parkings, bureaux, voire logements. Tout ça vit ensemble, et ça vit bien, parce que ça ne vit pas aux mêmes heures. »
Une affirmation illustrée par un exemple on ne peut plus parlant, celui des parkings. Là où, en France, les parkings des hôtels sont libres en journée et ceux des bureaux totalement vides la nuit, en Afrique, leurs usages, grâce à la mixité opérée, se complètent, de jour comme de nuit. Une utilisation optimale… et un rendement maximal. Des initiatives et pratiques qui, si elles semblent encore à la traîne en France, se développent outre Atlantique, avec des dynamiques similaires constatées sur le continent américain et qui se répandent aux États-Unis.
La data, nouvelle colonne vertébrale des décisions Workplace
Dans un contexte immobilier où les organisations cherchent à optimiser leurs mètres carrés tout en améliorant l’expérience de leurs collaborateurs, la donnée occupe désormais une place centrale dans les arbitrages immobiliers. Les intervenants l’ont ainsi rappelé : la data ne sert plus seulement à mesurer ce qui se passe dans les espaces. Elle devient « un outil de vérité », capable :
- De confirmer (ou d’infirmer) les perceptions,
- D’orienter des décisions structurantes.
- De nous permettre de dépasser l’intuition,
- De nous donner la possibilité d’objectiver les besoins réels,
- De nous offrir l’opportunité de mieux comprendre les comportements quotidiens des usagers.
Pour les directions immobilières comme pour les équipes opérationnelles, il s’agit d’un changement profond, puisqu’il n’est désormais plus question de piloter un parc immobilier tertiaire (ou même industriel) uniquement avec des ratios ou des hypothèses, mais bel et bien avec une connaissance fine, granulaire et dynamique des usages. Une transformation d’autant plus importante et nécessaire qu’elle ouvre la voie à une gestion plus agile, plus réversible, plus pertinente. La data devient ainsi un outil stratégique pour :
- Concevoir,
- Ajuster,
- Et évaluer un Workplace réellement aligné sur les besoins de l’organisation.
Mesurer les usages pour sortir des perceptions
Pour le projet The Link, projet d’envergure majeure et emblématique à l’échelle nationale et européenne, Vincent Callais nous a décrit le virage majeur opéré par TotalEnergies, qui s’est engagé dans une démarche structurante fondée sur l’analyse des usages réels.
- Capteurs,
- Visualisation des flux,
- Identification des sous-usages,
- Arbitrages fondés sur des données objectivées,
la donnée permettra désormais :
- D’anticiper les tensions d’occupation,
- D’identifier les espaces chroniquement sous-utilisés,
- D’adapter les surfaces,
- Et de piloter les investissements de manière plus fine.
Cette transition « du ressenti au réel » constitue une véritable rupture méthodologique qui remet en cause nombre d’idées préconçues telle que, par exemple, la croyance persistante d’un manque de salles de réunion, largement démentie par les taux d’usage observés et mesurés.
Le ROI, modèle encore difficile à capturer
Si la donnée améliore indéniablement la précision des décisions qu’elle favorise, le retour sur investissement reste un sujet sensible, avec une conclusion sur laquelle l’ensemble des intervenants s’accorde : la valeur générée par des usages mixtes dans les espaces en interne est réelle mais, pour autant, rarement immédiate et davantage manifestée par une collaboration accrue, une "désilotisation", une rétention des talents, une réduction des surfaces dormantes ou encore une rationalisation des coûts indirects.
Pour autant, des approches – certes rares, mais suffisantes pour être mises en lumière – existent, comme nous l’a démontré Martin Sauer qui nous a ainsi partagé un exemple révélateur : celui d’une entreprise ayant intégré le coût des mètres carrés utilisés dans le budget global d’un projet, rendant visibles les impacts immobiliers des choix organisationnels. Une belle manière d’illustrer la façon dont la culture financière peut évoluer pour mieux intégrer la valeur d’usage.
Mixité d’usages : des freins, des contraintes et des réalités opérationnelles
Si la mixité d’usages ouvre de nouvelles perspectives pour rendre l’immobilier tertiaire plus utile, plus vivant et plus performant, sa mise en œuvre se heurte encore, comme n’a pas manqué de le souligner avec justesse Cédric Omnes, à un ensemble de contraintes très concrètes. Rejoignant son propos, les intervenants n’ont ainsi pas manqué de le rappeler à l’ensemble de l’assemblée présente : il ne suffit pas d’avoir une vision ou un concept pour transformer un bâtiment.
En cela, en France, la réalité opérationnelle est claire et impose des limites techniques, réglementaires, budgétaires et culturelles qui conditionnent la réussite des projets.
- Normes ERP,
- Question sécuritaires,
- Limites techniques de certains bâtiments,
- Rigidité des baux,
- Difficulté de digitalisation de certaines chaînes opérationnelles,
- Coût du rétrofitting…
autant de difficultés qui se placent en travers de la route des plus téméraires, pourtant forts d’une volonté de reconfigurer certains bâtiments et qui se retrouvent freinés au moment de passer de l’intention à l’exécution. Mais ce n’est pas tout, car à cela s’ajoutent des enjeux humains majeurs :
- Attachement au poste de travail,
- Difficulté face au changement,
- Rejet du flex office,
- Sentiment de perte de contrôle…
Des résistances humaines tangibles qui ne font que confirmer, s’il en était besoin, le fait que la mixité d’usages ne peut être envisagée qu’à travers une approche globale articulant stratégie, technique, pédagogie, accompagnement des équipes et clarté des intentions.
Conclusion : vers un Workplace plus ouvert, plus agile et plus utile
Après une matinée d’échange incroyablement riche, de partages d’expériences aussi variés qu’inspirants et porteurs de réflexion, la conférence que nous avons eu le plaisir d’organiser et d’animer l’a confirmé : la mixité d’usages n’est pas un sujet immobilier, mais une transformation systémique qui engage à la fois l’organisation, l’humain, la gouvernance, la culture, la stratégie et l’exploitation. Elle n’est ni une fin en soi, ni une recette universelle : elle devient pertinente lorsqu’elle sert un objectif clair, répond à un besoin réel, ou pallie un manque identifié.
L’immobilier tertiaire vit une séquence charnière. Les entreprises attendent désormais des espaces plus intelligents, plus réversibles, plus activés, capables de délivrer des expériences utiles.
Le Workplace 2026 ne sera pas un modèle unique, mais une combinaison d’usages, pilotée par la donnée, ajustée par l’observation, enrichie par le service et rendue vivante par ses occupants.
Chez Jaicost, cette conviction nous guide : l’environnement de travail n’est plus seulement un cadre, c’est un levier de transformation durable. Et c’est à cette articulation entre stratégie, usages et exploitation que nous continuerons d’apporter notre expertise aux côtés des organisations.

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